Un jour mon petit frère Arthur m'a dit, ou à peu près : "Elle sont bien tes photos de concert, mais bon.. C'est facile, c'est toujours la même chose". Entendre : c'est forcément glamour, un musicien sur scène, des guitares, des lumières qui flashent, des clairs-obscurs découpant des silhouettes idéalement penchées sur des instruments aux reflets et courbes tout aussi idéaux.
C'est un peu vite dit, car la photo de concert pose des problèmes de taille : les lumières changent tout le temps, alternant de la plus vive à la plus sombre; il faut modifier tous les réglages en permanence, ou opter pour une demi-mesure rarement satisfaisante; en ouvrant au max l'objectif (ici, un 50 mm au f1,8), on perd de la netteté et du champ; en augmentant les iso, on attrape un grain numérique pas terrible; pas question de réduire la vitesse d'obturation, car les sujets sont mobiles; le public vous pousse, il faut se coller à la scène, surtout si on mesure moins de deux mètres; enfin, quand on préfère les optiques fixes et a fortiori le 50 mm, difficile de saisir tous les musiciens dans le même champ. Donc, réussir une série de photos de concert n'a rien d'évident. Mais avec un peu de pratique, c'est à la portée de tout le monde. Et là, il a raison, elles se ressemblent, et racontent la même histoire - que cette histoire soit passionnante est une autre affaire.
En photographiant Mallory, j'ai cherché d'autres gestes, d'autres histoires, en périphérie de la grande. On peut photographier des détails, un câble qui traîne, des souliers, un visage dans le public. Garder une photo un peu floue parce qu'une main posée sur une épaule rappelle soudain d'autres "team", sportifs ceux-là. Photographier le bassiste les bras ballants, en attente, spectateur à son tour.
Dans cette photo-là, pourtant prise en plein milieu d'un morceau enlevé, j'aime la platitude, la rareté des signes, la lumière et la couleur improbables, la pose incongrue, immobile, avec ce verre hors-sujet. La bouche close sur une absence totale de sourire, ou de quoi que ce soit d'ailleurs, ni emphase, ni hargne, ni rien. Le regard vers un hors-champ insituable et lointain, contrée intérieure. Une posture de spectateur, ou d'auditeur plutôt, en contradiction avec la main posée sur le micro - la main gauche et le corps racontent deux choses différentes. La main dément la lassitude apparente du corps, la fermeture du visage; et dans ce dialogue, alors que le chanteur ne regarde pas son public et semble à peine préoccupé de ce qu'il a à faire, se dessine une grande détermination.
Dans cette gestuelle de spectateur, dans ces motifs contradictoires, s'abyme l'espace du jeu, aussi, propre à la scène. Ce rôle que le musicien endosse quand il y monte. Attirer les regards, convaincre l'auditoire, tout en ayant envie de lui échapper, tout en n'y croyant pas complètement soi-même, parce que c'est un personnage, une fiction.
Donc, j'aime cette photo parce qu'elle raconte autre chose que "OH YEAH!!!"
Cela étant, à force d'accumuler des images de ce type, il n'y avait plus d'énergie dans ma série; je perdais l'électricité rock du concert. Je les ai donc mélangées avec des compositions plus classiques, et on peut voir le résultat ici.
Enfin, pour entendre le rock seventies bien balancé de Mallory, c'est par là!