Bon eh bien moi j'ai besoin de connaître un minimum pour pouvoir faire une photographie. Donc, il faut réussir à ce qu'on se connaisse en environ quinze minutes, parce qu'après on travaille. Autrefois, ce moment-là me faisait peur. Maintenant, il me fascine. Parce que ça ne rate JAMAIS. Une personne qui vient se faire photographier est d'accord pour être connue. Est même contente d'être connue.
Une fois qu'on se connaît, il se passe tellement de choses. Dans le corps, le visage, les yeux. Au début, tout est figé. Le corps est un bloc de granit et je tourne autour, je cherche l'angle. Je le fais s'asseoir sur une chaise et simplement ça, c'est difficile (une chaise? C'est quoi une chaise? Ah oui. Je me mets là). Les yeux sont froids ou lointains, les épaules crispées. Et on travaille, on travaille, on négocie avec la pudeur, un peu comme deux personnes toutes nues qui discuteraient sans avoir l'air de remarquer leur nudité réciproque.
Et puis tout ça s'ouvre et c'est très beau à regarder, à photographier et à penser. Avant je ne le voyais pas très bien parce que j'étais concentrée sur la technique. Maintenant la technique suit comme elle peut parce que cette ouverture est la chose à ne rater sous aucun prétexte. Dans les yeux, une pluie d'émotions (surtout chez les comédiens, bonheur de photographier quelqu'un qui sait jouer avec ses traits), dans le corps, une souplesse, un rythme qui s'installe. Et la peur qui s'évapore, des deux côtés de l'objectif. Une fois qu'on en est là, on peut sortir et courir sous la pluie (Zoé), crapahuter dans la boue parce que derrière il y a un mur photogénique (Tamara), faire un cache-cache dans le parc (Barbara), tout devient simple.
Alors cette photo de Judith Zins, comédienne, photo sans apprêt shootée au café après la séance, parce qu'il y a exactement ça dans son visage. Elle ne sourit pas (seulement) pour être jolie sur ses photos de book, elle me sourit à moi. Cette chose quand ça s'ouvre : la confiance.
Par ailleurs, Judith a le plus joli petit sourire de toute l'histoire des petits sourires, et il faut que ça se sache.