Du jaune pour Mélodie, du vert pour Raphaëlle, du bleu pour Gaëlle. Une palette pastel pour compenser la grisaille...
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Lorsque j'accueille quelqu'un pour une série de portraits, je n'ai aucun moyen de savoir ce que cela va donner, si mon objectif et son visage vont bien s'entendre, si les photographies vont raconter quelque chose ou s'en tenir à la restitution fidèle des traits.
Truisme : photographier, ou filmer, fait basculer la beauté (apparence) du côté de la photogénie (présence). Comédien ou pas, un modèle entre en scène, quand il pose. Que va-t-il jouer, montrer ? La fiction qui naît à ce moment-là est le point d'entrée vers le réel, donne à l'image son poids, sa densité - lorsque le gros plan d'un visage suggère un avant et un après, une histoire, une personne, une vie. Ce premier moment de la pose, après les échanges d'usage, est toujours émouvant - et mon travail est alors de voiler cette émotion sous quelques paroles légères, quelques réglages techniques cérémonieux, pour que tout cela s'épanouisse tranquillement. Le cinéaste Jean Epstein écrivait par exemple ceci, évoquant la photogénie propre au gros plan : "Comme le pétrole est en puissance dans le paysage que l'ingénieur à tâtons sonde, ainsi la photogénie là se dissimule, et toute une rhétorique nouvelle". Sonder la fiction en puissance chez le modèle, lui permettre de (se) raconter, laisser affleurer dans un simple portrait les multiples personnages qu'il pourrait incarner. C'est plus ou moins difficile, et plus ou moins réussi. Lorsque Raphaëlle, jeune comédienne des Enfants de la Comédie, vient se faire photographier, la palette des émotions possibles, des incarnats divers, s'impose immédiatement, riche, bigarrée, joyeuse. Il n'y a qu'à se servir, lorsque cela se donne si facilement. Off : sa présence discrète, presque effacée, lorsque nous discutons. On : l'intensité de son regard dès que je la photographie, son visage mobile, sensible, passant en quelques seconde d'une grande tristesse à un éclat de rire, sur un mot, un geste. J'ai choisi cette photographie, une des premières de la série, pour ce contraste : un petit visage aux traits légèrement tirés, un corps gracile que l'on devine pas très loin de l'enfance, en même temps que le regard volontaire, têtu, et le petit sourire en coin presque sardonique. Un peu plus tard, à nouveau cette différence, où la petite robe de dentelle blanche accentue par contraste l'aura sombre du visage. Matière à fiction. Mélodie Botros, comédienne parisienne et membre de la joyeuse compagnie Les Anthropologues, est venue planter ses beaux yeux atlantiques dans mon objectif, qui s'est particulièrement bien entendu avec eux.
Charles Meunier, comédien naviguant entre Londres et Paris, lors d'une récente escale. On peut agrandir la photo en cliquant dessus.
Entre autres écueils du portraitiste : 1) utiliser toujours les mêmes décors, les mêmes ambiances, et 2) oublier le mouvement. Donc décor insituable, d'où son intérêt, mais fond sombre pas si facile à trouver, et mouvement - du regard, des lèvres, de la fumée - ; micro-mise en scène (timide... question à creuser). |
Avril Dunoyer |