Pékin, jour 2.
Le ciel est tout blanc, il fait chaud et brumeux. Par un obscur concours de circonstances, nous sommes momentanément privées de nos cartes bancaires. Que font deux filles brutalement et injustement privées de leurs cartes bancaires? Du shopping, bien entendu, avec le fond des poches. Consolation au lin léger, chemises douces vert-de-gris et ardoise, écharpes semées de petits chats rouges à l'air satisfait (oui, c'est un post anecdotique, mais je suis en vacances, aussi).
Balade au petit bonheur dans le Houhai, quartier central de Pékin qui regroupe cinq lacs artificiels et leurs environs, où se tiennent tours majestueuses et temples discrets. Nous quittons les hutongs et leur enchevêtrement savant, envahies de tas - innombrables tas, de sable, de terre, de gravats, de briques, de... choses -, pour un quartier plus apprêté et reconstruit pour l'oeil touristique. Léger côté Disneyland.... Boutiques proprettes, musiciens, odeurs mêlées du tofu grillé et des churros.
Etrange ambiance autour du lac : des bars innombrables alignent leurs terrasses, poussés comme des champignons ces dix dernières années, vides ou quasiment. A l'intérieur, des petites chanteuses, chanteurs, déclinent des mélopées sentimentales et autres tubes revisités, et des jeunes types fatiguants nous pressent d'entrer.... De l'extérieur, les chanteurs paraissent encagés, sinistrement seuls et impavides sous les sunlights roses. Les musiques se mélangent dans la rue et nous pressons le pas pour échapper à la cacophonie.
Comme partout à Pékin, la foule est diverse, mélangée, tranquillement indifférente. Des promeneurs, des touristes, des vélos, des scooters surchargés - et toujours merveilleusement silencieux, j'envisage d'en ramener un en pièces détachées -, des personnes âgées qui font de l'exercice dans des parcs de gymnastique avec une vigueur désarmante, des militaires aux visages enfantin, défilant au pas de l'oie, des pêcheurs qui perdent leurs lignes et leur regard dans les eaux verdies, se fichant bien du spectacle derrière eux. L'hiver, on fait ici du patin à glace; l'été, on ose parfois s'y baigner.
A l'extrémité du plus grand lac dont nous faisons le tour, l'ambiance est beaucoup plus calme et de magnifiques villas s'entourent de murs comme des murailles. Domiciles de gouverneurs et de ministres, dont l'importance se mesure à la quantité de gardes, drapeaux, et à l'épaisseur des murs qui masquent de larges baies vitrées (sic). Le soir tombe vite, et en revenant vers le centre, au loin sur les autres rives s'allument d'innombrables lumières, rouges et bleues, bars par dizaines, boîtes de nuit, tumultes et clameurs. Tout ça est fascinant, mais je suis ravie de rejoindre le calme et la discrétion des hutongs.
Avec cette brume légère la lumière, blanche ou colorée, se diffuse et nimbe les formes d'un halo délicat. Je regrette de ne pas avoir emporté de pied pour mon appareil, mais j'attrape comme je peux la silhouette massive d'un temple rouge sur le ciel presque noir, et les échafaudages qui entourent la construction d'une station de métro, surplombant la ville d'audacieuses structures penchées. Dans les hutongs, les gens discutent sur les pas de portes, jouent aux cartes dans un noir quasi complet, font griller viandes et légumes, les fumées s'élevant dans l'air doux. Des enfants crient et rigolent. Et l'orage éclate, faisant crépiter la pluie sur les toits et zébrant le ciel. Je me demande comment ça se passe, dans ces petites maisons qui semblent parfois de bric et de broc, et à ras du sol....
La journée se termine au Café de la Poste, où l'on sert du Bourgueil impeccable et du tartare. On y mange bien et on y boit sérieusement, et bien entendu, on fume. C'est une soirée James Bond. Des films sont projetés au plafond, les enceintes crachent les standards de la série et des types en costard jouent au poker au milieu de la salle. Je rencontre une autrichienne qui me rappelle Marlène Dietrich, un américain qui ouvre à côté un bar - thème "Miami", du rose, du bleu et du contre-jour -, un argentin passionné de cinéma muet, des françaises expatriées, des gens sur le départ, d'autres qui arrivent, des quatre coins de la planète. Ambiance légèrement surréaliste et burroughsienne (avant le peyotl, tout de même). James Bond évacué, le patron passe du AC/DC, et la conversation reprend, jusque très tard dans la nuit.
J'aime beaucoup cette ville.