Un an après, retour à Beijing. Ville enchevêtrée et fluide, harmonieuse anarchie, mouvante comme une dune. Je suis retournée à Caochangdi, village suburbain qui accueillait l'an passé le festival Photospring. Frappée à nouveau par l'entrelacs des vies et cultures, citadins affairés, petits vendeurs du marché, belles filles habillées de pied en cap déambulant sous les nuées de câbles électriques, galeries d'art contemporain designées au cordeau et bazar de toute éternité où je shoote en marchant (en slalomant).
Dans cette photographie, à l'arrière-plan le vaste mur de briques qui enserre un complexe de plusieurs galeries, à l'avant-plan un bout du marché extérieur. La jeune fille qui me regarde pose la limite de ce que je peux faire en matière de portraits de rue. Je trouve toujours aussi détestable et tétanisant le fait de coller un appareil sous le nez de quelqu'un qui n'a pas expressément signifié son accord - ou de l'attraper au téléobjectif, c'est pareil. Ce qui rend les hasards de cette sorte d'autant plus réjouissants, tant ils sont rares : ce jeune homme qui passe devant moi en scooter au moment où je déclenche, tenant un enfant contre lui d'une main, et ce regard direct dans l'objectif. Je ne pensais d'ailleurs pas qu'il était dans le cadre.
Il aurait pu masquer ce que je voulais attraper : l'hétérogénéité des architectures, les touches de couleurs, rouge, jaune, bleu, dans la lumière grise d'une journée presque froide, la façon dont les objets débordent sur la rue, ce brouhaha des choses qui me repose les yeux. Mais c'est lui qui "fait" la photo, lui donnant une profondeur inattendue, irruption de vie, de mouvement (et de vert). Rythme : les deux couples en écho l'un de l'autre, le ping pong des regards qui se croisent.