Dans cet accord délicat entre le regard et le demi-sourire, on en attrape peut-être quelque chose. Un regard frontal et franc, mais dont la profondeur naît de tout ce qu'elle garde pour elle-même, bien caché. Qui ne dit jamais Regarde comme je suis jolie. Qui sourit par gentillesse, parce qu'elle sait que j'aime bien la photographier - elle m'accorde quelques secondes de sa rêverie, mais elle préférerait aller flotter ailleurs.
Tentative : juste, attraper un fragment de monde qui n'a pas besoin d'être vu pour exister tout entier.
A. est une petite fille très polie et assez forte en périphrases d'approche. "Excuse-moi, Avril, je ne voudrais pas te déranger tu sais bien, mais se pourrait-il que, pourrions-nous envisager, enfin j'ai pensé que peut-être il serait possible que tu me donnes ce paquet de Chamallows, dont nous savons bien toutes les deux qu'il se situe tout en haut de cette étagère à laquelle je n'ai pas accès, mmmmmh?". Et dans ce petit être blond qui se tortille dans la cuisine, tout entier tendu vers un paquet de Chamallows, la belle personne en devenir, qui ignore son propre pouvoir, est émouvante.
A. fait assez souvent tomber des choses, se cogne, se trompe. Non parce qu'elle est maladroite ou ne fait pas attention, mais parce qu'elle essaye d'accorder son propre monde, rêveur, plein de lenteur et de considération, avec le réel, mal fagoté, brutal ou tordu, bizarroïde.
Aujourd'hui, A. rentre en CE2. Elle a du cacher au fond de ses poches les continents bigarrés de son univers parallèle et vrai, intangible et puissant. Se secouer pour quitter l'été, mettre des chaussures, veiller à ce que rien ne dépasse et que lundi ne soit pas boutonné avec vendredi. Lâcher sa propre musique pour entendre les consignes, les injonctions, les recommandations, faire sa petite place dans le groupe, au milieu des cris et des rires. Je sais bien comme c'est difficile et effrayant, et les souvenir affluent, de ces moments qui ont encore la force des premières fois.
Et donc, en pensant à A., mais aussi à G. (CE2), à M. (CM1), à F. (Maternelle), à O., E., et les autres, je souhaite à tous une belle et courageuse rentrée, avec cette petite photo prise au creux de l'été, encore pleine d'odeurs de mer, de sable chaud et du bruit des cigales. En regardant bien, on verra dans les yeux d'A. un tout petit bout de ciel bleu.