Toutes proportions gardées, il y a quelque chose de commun entre le sculpteur devant son bloc de marbre fermé comme une huître, et le photographe réalisant le portrait de quelqu'un qu'il n'a jamais vu et qu'il ne connaît pas. L'expression "tirer le portrait" est d'ailleurs assez juste. Aller le chercher. Dégager le passage entre l'objectif et le visage. Attraper une expression, un mouvement véritables, presque malgré le modèle; interpréter la personne en face de soi - c'est pourquoi, même si on utilise toujours quelques ficelles, lieux, échelles de cadre, teintes, il faut à chaque fois réinventer une manière de s'approcher, de réaliser la photo. En observant, presque à la dérobée, telle façon de bouger, de sourire, de poser ses bras, ses jambes. Pour entrer peu à peu dans cette intimité : prendre une photo de quelqu'un. On y pense tout le temps, mais on n'en parle pas. On parle technique, alors qu'on s'en fiche complètement, de la technique (une fois que les paramètres sont réglés).
Quand on a bien observé, on sait ce que le modèle peut donner, ou pas, et à peu près quand. Après, il ne faut pas louper le point de netteté...
En parlant du moment où l'on peut allumer la lumière, dans le labo où l'on vient de tirer une photographie, Alix Cléo-Roubaud disait qu'elle "chante". On sait que c'est le bon moment parce que la photo chante. Quand tout s'équilibre et qu'on a tiré le portrait, je dirais aussi que cela s'entend.